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Approche

Je ne peux pas parler à leur place, je n'oserais pas, mais je peux parler pour eux.

Ce qui m'intéresse particulièrement dans cette histoire est le fait qu'elle se déroule aujourd'hui, en ce moment. Elle me semble significative de notre époque, de ce chamboulement qui se produit imperceptiblement depuis la chute du mur de Berlin. Il est vrai que c'est toujours compliqué de travailler sur, ou avec l'Histoire récente.

Il est compliqué de trouver de la distance pour transformer théâtralement l'Histoire dans laquelle nous nous trouvons.
Nous avons les pieds dedans, nous pourrions  nous tromper, nous engluer... Néanmoins le théâtre peut, non, doit accompagner ces changements de société. Ce qui est arrivé à Nouzonville est une dérive particulièrement odieuse de la mondialisation, et il est important de l'expliquer, de mettre des mots dessus, d'expliquer comment les choses arrivent jusque là. Comme nous ne savons pas comment fonctionne la bourse.

 La plupart d'entre nous ne savons pas vraiment ce que les subprimes ont à faire avec nos crédits personnels, nous ne comprenons pas comment des entreprises peuvent se racheter mutuellement (sans jamais rien verser), etc... Nous nous retrouvons avec des discours sur une « crise» complètement disparates, ce qui nourrit les angoisses. Il reste la sensation que chacun doit s'en sortir comme il peut, tout seul. Chacun pour soi. Le théâtre a plus que jamais sa fonction de point de ralliement, d'un lieu solidaire; et il me semble que l'acteur a aussi la fonction de faire passer des informations de village en village et ainsi, de créer du sens. Il est important d'ajouter que les gens que j'ai rencontrés à Nouzonville semblaient toujours porter en eux la fierté de leurs métiers. Les ouvriers de la métallurgie, l'ingénieur et l'ancien directeur savent qu'ils sont bons dans leur métier.

Ils savent que les pièces qu'ils ont fabriquées sont toujours importantes dans notre monde industrialisé. C'est difficile à vivre.

Et tous les habitants de cette région portent en eux, non pas la honte de s'être fait abuser, mais l'orgueil de ceux qui se sont rebellés.

On ne peut plus leur raconter n'importe quoi en ce qui concerne l'industrialisation, ou la manière dont le pays doit gérer ses richesses... Ils ont perdu, oui, mais comme dit Brecht:

"Nos défaites ne prouvent rien".

Il est important de témoigner de ces luttes d'aujourd'hui, non pas parceque c'est une lutte politique, car c'est aussi une lutte politique, mais parceque c'est une lutte pour l'humain et pour notre futur. L'esclavage économique d'une grande partie de l'humanité n'est pas une fatalité....(comme on veut nous faire croire).

Je retourne dans le village. J'écoute les versions de certains protagonistes. Je me renseigne. J'essaie de comprendre. Je ne peux pas parler à leur place, je n'oserais pas, mais je peux parler pour eux. Certains ouvriers sont restés, d'autres sont partis...

J'écoute: leurs femmes, l'avocat, l'ingénieur, l'ancien propriétaire, le banquier, le maire et les politiciens de la région, le comptable de l'usine, les CRS, la caissière du Lidl, les journalistes, les historiens, et les enfants, oui, les enfants, comment vivent-ils cette plaie au milieu de la ville?

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